et pourquoi pas demain

31.10.16

en octobre {2016}







"Le convoi brimbalait en rase campagne lorsqu'enfin Elsa parvint à chasser la tristesse du départ pour ne plus songer qu'à sa délivrance. Elle rangea son mouchoir, s'accota à la vitre crasseuse et se prit à regarder les fils du télégraphe s'incurver de poteau en poteau, à contempler les arbres, les fermes éparses qui glissaient sans heurt vers l'arrière en une interminable déclinaison de maisonnettes blanches, de granges rouges et de champs de blé. Chaque kilomètre parcouru était un pas de plus vers la libération."

 {premières lignes de La montagne en sucre, de Wallage Stegner (ed. Gallmeister), écrit en 1971}

J'ai poursuivi mon exploration des romans des éditions Gallmeister avec La montagne en sucre que je voulais lire depuis longtemps. Yann me l'a offert et je me suis plongée avec délectation dans ce pavé (plus de 800 pages). Je ne connaissais pas Wallace Stagner qui est pourtant un immense auteur américain (National Book Award, Prix Pulitzer), auteur d'une trentaine de romans et d'essais écrit tout au long du 20e siècle. La montagne en sucre est en partie autobiographique. Le héros du roman est une héroïne, Elsa (sans doute donc la mère de l'auteur). On la découvre toute jeune, débarquant chez son oncle, dans la petite ville d'Hardanger, dans le Dakota. Elle fuit sa famille du Minnesota et un père, remarié avec la meilleure amie d'Elsa après la mort de sa femme. Très vite, elle s'éprend de Bo Mason, un jeune homme impétueux mais tendre et touchant, marqué par une enfance douloureuse et en quête de réussite. Le couple se marie et connaît des débuts heureux, a deux petits garçons mais Bo est un éternel insatisfait, poursuivant sans fin son rêve américain… Je ne veux pas en raconter plus mais c'est un magnifique roman sur une femme forte et sensible, intelligente et altruiste et dont la loyauté et l'amour des siens guidera la vie. Et c'est une vie entière que l'auteur nous invite à suivre, avec une dernière partie, émouvante et passionnante où le fils cadet prend la relève de la narration. L'auteur développe énormément les relations parents-enfants et les ravages sur les individus -et sur toute une lignée familiale- des défaillances parentales. C'est aussi, bien sûr, un grand roman sur l'Amérique… Sur les conditions de vie terribles dans des coins isolés. Sur le rêve américain, la conquête d'un Ouest de moins en moins vierge pour les personnages du roman qui évoluent au début du 20e siècle. Une très belle et passionnante saga familiale.

                                                             

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"A huit heures, Joseph et Kenneth entrent dans l'épicerie, ils viennent presque tous les jeudis. C'est devenu une sorte d'habitude pour nous trois, sans que l'un de nous l'ait jamais reconnue comme telle. Il arrive que seul l'un des deux vienne. Ou ni l'un ni l'autre. On ne se pose alors aucun question, car on ne se sent pas d'obligation."

{premières lignes de Les belles choses que porte le ciel, de Dinaw Mengestu (Le livre de poche), 2006}

        Autre roman génial, prêté par Falilou. Le titre -
Les belles choses que porte le ciel- est magnifique et tient toutes ses promesses. C'est le premier roman de Dinaw Mengestu, jeune écrivain américain d’origine éthiopienne (paru en 2006). Sépha a quitté l'Ethopie dans des circonstances dramatiques (qui seront révélées à mi-chemin de votre lecture). Il est arrivé, seul, à peine sorti de l'adolescence, à Washington, où il a ouvert une épicerie dans un quartier noir et pauvre. Une épicerie qui vivote tant bien que mal.  Les années passent, rythmées par la visite, chaque semaine, de ses deux amis, immigrés africains comme lui, rencontrés à son arrivée aux Etats-Unis lorsqu'il travaillait comme bagagiste dans un hôtel de luxe. Sépha est comme spectateur et absent de sa propre vie. Une vie de solitude et d'habitudes. Une vie sans rêve, sans espoirs. Un jour, arrive dans le quartier une jeune universitaire, Judith, et sa fillette Naomi, métisse. Elles s'installent dans une vaste demeure du quartier dont la population commence à évoluer et à s'embourgeoiser. Cette rencontre va bouleverser la vie de Sépha. Un court roman sur l'exil, très fort, d'une sensibilité et d'une beauté folles qui dégage tristesse et une mélancolie. On se laisse porter par une écriture précise et poétique. 

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"-Ils utilisaient du feu dans le temps.
Le vieux coq-boy voulait dire que les gars qui avaient la fantaisie de mourir pendant l'hiver au Wyoming trouvaient le repos éternel sous un mètre cinquante de terre gelée.
-Ils construisaient un feu de joie et le laissaient brûler quelque heures pour que ça dégèle, et ensuite ils creusaient la tombe."
{premières lignes de Le Camp des morts, de Craig Johnson, ed. Gallmeister, 2006.}


Enfin, lu au début de nos vacances de la Toussaint aux Pays-Bas, dans la douceur de cette maison où nous avons eu la chance de passer une semaine, Le camp des morts, de Craig Johnson. C'est devenu un rituel de vacances : retrouver mon adoré shérif Walt Longmire du Wyoming. Il faut lire celui-ci entre Little Bird et Molossses dont je vous parlais LA. C'est toujours l"hiver dans les plaines du Wyoming. Des hivers rigoureux faits de chutes de neige, de tempêtes violentes, de températures extrêmes qui isolent encore plus les habitants de ces contrées reculées. Mais la tendresse, la complicité, l'authenticité des rapports humains dans les romans de Craig Johnson est inversement proportionnelle à la rudesse du climat. Les rapports entre les personnages sont directs, vrais, forts, les amitiés "à la vie-à la mort". Celle d'Henri (que Walt surnomme affectueusement "La Nation Cheyenne" et de Walt me touche toujours autant. Ces deux là se connaissent par cœur, sont prêts à tout pour l'autre, et partagent un sens de l'humour décapant. J'ai adoré retrouver Vic, revêche et râleuse, mais au cœur tout tendre / l'indispensable Ruby, qui communique par post-it avec Walt / Sancho le petit nouveau qui est embauché dans ce roman (d'où l'intérêt de le lire avant…) / Dorothy la serveuse placide du seul dinner de la bourgade /Cady la fille avocate de Walt / Lucian le vieux shérif en maison de retraite / Isaac Bloomfield médecin formidable rescapé des camps de la mort/ Bill Mc Dermott le médecin légiste. J'ai remarqué avec ce troisième livre de la saga que les personnages des romans de Craig Johnson étaient plutôt vieillissants (sauf Vic et Sancho) et on est tellement loin de l'ode à la jeunesse et à la beauté. J'aime beaucoup le regard que l'auteur, par l'intermédiaire de Walt, pose sur les femmes. Les femmes auxquelles il est sensible ne sont jamais parfaites physiquement, il souligne leurs petites rides, les défauts qui les rendent uniques et jolies, et elles ont toujours un caractère fort et une belle âme.
Les aventures de Walt Longmire sont drôles (vraiment drôles), pleines de tendresse. Retrouver les personnages de cette saga constitue à chaque fois un moment de réconfort.  Et les quitter me fait toujours un petit pincement au cœur.


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Et quelques mots sur octobre dans les salles…Les deux films qui m'ont le plus marquée sont Une vie entre deux océans, un gros mélo qui s'assume m'a emportée. Les paysages de la côté australienne, les personnages, les acteurs (Alicia Vikander, Michael Fassbender…), l'histoire… : je suis tombée sous le charme. Et coup de cœur pour le film d'animation Ma vie de courgette. Je ne suis pourtant pas une adepte des films d'animation mais celui-ci est bouleversant. L'animation  permet d'aborder un sujet délicat (la maltraitance des enfants) sans pathos, mais avec tellement de sensibilité. Une vraie réussite et la BO est épatante (cette reprise du Vent nous emportera, de Noir Désir, par Sophie Hunger). Un film triste mais à la fin optimiste sans être cul-cul car la résilience est possible et que les belles rencontres peuvent changer une vie. A partir de 9-10 ans. 

6 commentaires:

  1. Les livres que tu aimes et dont tu parles si bien me font toujours envie! Ces trois-là ne font pas exception à la règle.
    J'ai lu Little bird et je retrouverai avec grand plaisir Walt Longmire et tous les autres personnages de Craig Johnson mais je vas peut-être commencer par lire "Les belles choses que porte le ciel".
    Merci!

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    1. oui grande découverte que "Les belles choses que porte le ciel"… bonne lecture!!

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  2. Tu me donnes envie aussi! Je cherchais justement des polars avec héro récurrent sympa et attachant. Une amie m'en a conseillé un qui se passe au Québec. Tu es très Amérique! As tu lu Américanah?

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    1. oui, j'ai lu et adoré Americanah que mon amie Raphaële m'a offert pour mon anniversaire l'an dernier. Et oui, je suis très Amérique. J'ai toujours adoré la littérature américaine (j'ai même fait mon mémoire de maîtrise sur le héros américain! ça remonte!) et depuis notre voyage aux états-unis l'an passé, je suis encore plus accro. Et avec la collection Gallmeister, je n'en finis pas de découvrir des chefs d'œuvre. Et oui oui, lance toi dans les aventures du shérif Walt Longmire. Dans le genre polar avec héros récurent, je n'ai pas lu mieux (bien mieux écrit et plus profond selon moi que les Mankell dont je me suis vite lassée par exemple). Et l'humour des dialogues me fait vraiment marrer!! L'aspect policier n'est pas le plus réussi selon moi, c'est tout le reste qui me plait!

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  3. Lu Craig Johnson et comme toi beaucoup aimé ! J'ai très envie de lire "la montagne de sucre" qui dans ta description me fait penser au roman de Philipp Meyer "le fils" dont tu avais fait l'éloge et que j'ai adoré lire cet été.

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    1. c'est drôle élodie que tu parles du Fils. On a offert au frère yann coup sur coup "Le fils" et "la montagne de sucre". Il a d'abord lu "Le fils" qu'il a bop aimé puis "La Montagne de sucre" qu'il a encore préféré et qu'il a trouvé incroyable…! moi je ne sais pas trop, j'aurais du mal à les départager… Mais c'est vrai que ce sont deux grandes sagas familiales avec l'histoire américaine en toile de fond.

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