et pourquoi pas demain

4.11.15

en octobre {2015}




Un mois d'octobre moitié paris/moitié normandie. Les paysages du Cotentin en automne sont somptueux. Des balades, de bon petits plats et pâtisseries partagés avec notre amie marie-hélène, des jeux de société et des soirées de rigolades et de musique avec nos enfants et les siens. Du temps pour lire aussi. Avant les vacances, j'ai lu La Terre qui penche de Carole Martinez. L'histoire de Blanche,
12 ans, dans la France du 14e siècle. Une petite fille, vendue par son père et destinée à épouser le fils de la famille, Aymon que Blanche voit d'abord comme "un être débile, un simple d'esprit" avant de s'attacher à lui. Blanche est lâchée comme un paquet encombrant, sans explication aucune, dans sa nouvelle famille. Là, elle va apprendre qu'un père peut aimer son enfant, qu'elle est capable d'apprendre, à écrire, à lire. Un roman dans lequel j'ai eu du mal à entrer, à l'écriture très particulière, mais qui devient envoûtante au fil des pages. C'est superbe et très fort.
J'ai attendu les vacances pour savourer le deuxième tome de Lomesome Dove. J'avais dévoré le premier cet été sur les routes de l'ouest américain et c'était une chance que de lire ce livre sur les lieux même de son histoire. On retrouve notre troupe de cow-boys menés par Augustus et Call, deux anciens rangers plus tout jeunes, amis à la vie-à la mort et tellement différents. On les suit dans leur folle aventure : conduire du bétail du Texas au Montana, en traversant des mois durant des contrées dangereuses. On apprend à mieux connaître certains membres de la troupe :  le jeune et attachant Newt ou encore le fidèle Deets. Les deux personnages féminins sont de vrais beaux personnages : Lorena, la jeune prostituée, et Clara l'amour de jeunesse d'Augustus. Je n'aurais pas imaginé que je pourrais autant me passionner pour un western. Ces deux romans m'ont emportée, enthousiasmée, émue…Augustus fait déjà partie de mon panthéon de personnages littéraires. Lisez le, offrez-le… : Lonesome Dove est un vrai chef-d'œuvre de la littérature américaine.
Je me suis ensuite plongée dans Une constellation de phénomènes vitaux, d'Anthony Marra. Un premier roman qui se passe en Tchétchénie, entre 1994 et 2014. Une histoire compliquée à résumer avec des va-et-vient entre différentes périodes de l'histoire du pays et des personnages qui vont tous se croiser, à une époque ou une autre. C'est à la fin du roman, que tous les liens et la chronologie nous apparaissent clairement. Le fil principal, c'est Havaa une fillette de 8 ans, originaire d'un petit village. En 2004, en pleine guerre, après que son père ait été emmené à la Décharge par les Russes, un lieu dont on revient pas, c'est Akhmed, un voisin qui la protège. Il emmène la petite fille à onze kilomètres de là, dans un hôpital dévasté où une chirurgienne renommée, Sonja, ampute, suture, met des bébés au monde avec efficacité mais sans émotion apparente. Sonja est obsédée par l'idée de retrouver Natasha, sa sœur cadette. Akhmed, médecin raté et dessinateur doué reste à l'hôpital et assiste Sonja. Tous deux veillent sur Havaa. Au village, reste Khassan, un vieil homme qui aime Akhmed et Havaa plus que son propre fils, devenu informateur pour les Russes. Le roman raconte les cinq jours qui suivent l'arrivée d'Havaa et Akhmed à l'hôpital. En alternance, l'auteur revient sur des années passées : l'enfance de Sonja et Natasha, la naissance d'Havaa, l'amour de Khassan pour Mirza… Tous ces personnages qui se croiseront à un moment du livre et un ont un lien, parfois ténu, entre eux. Un roman fort et très dur où il est question d'amour, d'amitié, de sacrifices, de trahisons, de deuil, de barbarie. La lecture de la première moitié a été assez laborieuse. Je n'étais pas très convaincue par l'écriture, par certains "tics" littéraires (le procédé "flash forward" qui nous indique ce que deviendront certains personnages des années plus tard et dont l'auteur use et abuse), par des personnages un peu trop "personnages"… et puis, à un moment, je me suis surprise à ne plus pouvoir cesser ma lecture, de plus en plus bouleversée.

Au cinéma, le film le plus incroyable du mois a été pour moi et de très très loin Le fils de Saul. J'ai eu la chance d'interviewer cette semaine son jeune réalisateur (franco-hongrois). Il  nous plonge au cœur des chambre à gaz d'Auschwitz-Birkenau. Il épouse le point de vue d'un homme, Saul, membre d'un sonderkommando voué à la mort, mais avant cela, chargé de conduire les arrivants des convois dans les "douches", de récupérer leurs biens dans les vestiaires, de se débarrasser des vêtements, de sortir les corps une fois que les gaz ont fait leur œuvre, de nettoyer le sang versé. Le tout à un rythme effroyable puisqu'à l'été 44, 12 000 personnes arrivaient chaque jour. Une tâche à rendre fou. On imagine que c'est parce que la folie a commencé à le gagner et aussi parce qu'il veut accomplir un geste qui le rattache à l'humanité, qu'il n'a plus qu'une idée fixe : enterrer le corps d'un jeune garçon et lui offrir une cérémonie. Le réalisateur a eu cette idée incroyable de nous conduire au cœur des enfers en suivant un personnage animée d'une seule une volonté, désespérée, la plus ancestrale : celle d'enterrer un corps et de lui rendre hommage afin qu'il repose en paix. C'est évidemment un film très dur, mais il réussit l'exploit d'éviter totalement la complaisance en filmant l'horreur. Il nous la fait ressentir de manière charnelle. Tout ce que le spectateur voit, il le voit à travers le regard de Saul. Un regard subjectif, partiel, fractionné.  Le seul moyen, selon le réalisateur, de donner l'"intuition" au spectateur, de ce que pouvait ressentir un individu au sein d'un camp de concentration. Il s'écarte de tous les autres films qui présentent une vision globale du camp ou/et le montre d'un point de vue extérieur. Or, nous explique t-il, le regard des prisonniers était très limité : visuellement, en terme d'informations etc…Là, nous sommes Saul, un homme qui ne voit plus les visages des victimes, qui charrie des corps dont il ne perçoit plus que des morceaux. On ne voit plus, comme lui, que ce qui peut l'aider à enterrer le corps de l'adolescent. Un film complètement inédit, cinématographiquement impressionnant et émotionnellement bouleversant. Je vous recommande l'interview passionnante qu'il a accordée à Serge Kaganski dans les Inrocks de la semaine.

La Terre qui penche, de Carole Martinez (Gallimard), 20€
Lonesome Dove, de Larry McMurtry, en deux tomes (Gallmeister), 11, 20 € chaque
Une constellation de phénomènes vitaux, d'Anthony Marra (J.C Lattès), 22€

Le fils de Saul, de László Nemes. Sorti le 4 novembre. Grand Prix au Festival de Cannes.


2 commentaires:

  1. Des thématiques sombres et fortes pour un début d'automne ... je note en lectrice appliquée car moi tes lectures me plaisent tout le temps ! Tes photos du Corentin laissées ci et ailleurs (IG) m'ont beaucoup plus ! Je t'embrasse Audrey et te dis à très bientôt j'espère : )

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  2. Cotentin !!! et pas Corentin hihihi

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